En mai 2022, la Cour suprême israélienne a décidé d’expulser des centaines de familles palestiniennes vivant dans les collines du sud d’Hébron, en Cisjordanie occupée, connues localement sous le nom de Masafer Yatta, et de remettre leurs terres à l’armée israélienne.
Depuis des années, l’armée utilise de vastes étendues de terres comme zone de tir active, mettant en danger les communautés locales. Aujourd’hui, avec le soutien de la Cour suprême, l’armée a le pouvoir d’expulser environ 1 300 Palestiniens de la région et de démolir complètement huit villages.
Les groupes de défense des droits affirment que cet acte équivaut à un transfert forcé, un crime de guerre selon le droit international.
"Ce tribunal est oppressif et raciste, et ne soutient que le côté israélien, point final", a déclaré à Mondoweiss Sami Hureini, un militant local et résident de Masafer Yatta.
"Après vingt ans devant les tribunaux, de 2000 à aujourd’hui, la décision n’a jamais changé, c’est la plus grande injustice", a poursuivi Hureini.
"Le peuple a fourni toutes les preuves historiques de la propriété de ces terres. Mais l’occupation a jeté tout cela aux oubliettes. Il n’y a rien de tel que la justice dans ce tribunal".
Zone de tir 918
Masafer Yatta abrite un certain nombre de communautés d’éleveurs palestiniens, qui résident dans plusieurs petits villages et hameaux. Les résidents datent leur présence dans la région de plusieurs décennies, avant l’occupation de la zone par Israël en 1967.
Dans les années 1980, Israël a déclaré les 3 000 hectares de Masafer Yatta zone de tir active pour l’entraînement militaire, la surnommant zone de tir 918. Dans les limites de la zone de tir se trouvaient 12 villages palestiniens habités.
En 1999, l’armée israélienne a expulsé tous les résidents de Masafer Yatta, au nombre de 700 à l’époque, au motif qu’ils "vivaient illégalement dans une zone de tir". En réponse, les familles ont adressé une pétition à la Cour suprême israélienne, marquant le début de leur bataille juridique de 20 ans.
À la suite de cette pétition, la Cour a émis une injonction provisoire autorisant les villageois à rentrer chez eux et à utiliser les terres à des fins agricoles, mais leur interdisant toute nouvelle construction, y compris de maisons ou d’infrastructures essentielles comme les réseaux d’électricité ou d’eau.
Pendant ce temps, l’armée a continué d’utiliser le terrain comme zone de tir, effectuant des exercices d’entraînement en direct avec des tanks, des hélicoptères, des bombes, des roquettes et des tirs réels.
L’armée a également continué à procéder à des démolitions de maisons dans la région. Selon le groupe israélien de défense des droits humains B’Tselem, depuis 2006, Israël a démoli 64 maisons dans les communautés de Masafer Yatta, déplaçant au moins 346 personnes, dont 155 mineurs.
Les habitants disent que l’armée utilise la désignation de zone de tir dans le cadre d’une politique plus large visant à chasser les Palestiniens de leurs terres.
"Ils essaient de convaincre le monde en disant que c’est une zone de tir pour l’armée. Mais l’occupation choisit de venir dans une zone où les gens vivent déjà, et la déclare zone de tir pour l’entraînement militaire", a déclaré Hureini à Mondoweiss.
"Les zones de tir sont utilisées comme une excuse pour déplacer les gens, rien de plus, rien de moins."
Des documents récemment révélés viennent étayer les revendications des résidents palestiniens. Le procès-verbal d’une réunion "top secrète" de 1979 révèle que l’ancien Premier ministre israélien, alors ministre de l’Agriculture, Ariel Sharon, explique qu’il a créé des zones de tir à travers la Cisjordanie dans le seul but de "créer des réserves de terres pour les colonies [juives]".
La violence des colons
Alors que les Palestiniens de Masafer Yatta vivent sous la menace constante d’une expulsion, des centaines de colons israéliens vivent dans la région de manière très différente.
Il y a 10 colonies et avant-postes israéliens à Masafer Yatta, parsemés le long de la frontière de la zone de tir.
En vertu du droit international, ces colonies réservées aux Juifs sont illégales. Pourtant, au fil des ans, le gouvernement israélien a continué à promouvoir l’expansion des colonies en Cisjordanie à un rythme rapide.
Et tandis que les Palestiniens vivant dans la région sont largement empêchés de construire des maisons et d’accéder aux ressources de base comme l’eau, l’électricité et les routes pavées, les colons israéliens se voient offrir des logements subventionnés par le gouvernement, l’eau courante, l’électricité et des routes exclusives construites uniquement pour les colons.
"Le colon obtient tout ce dont il a besoin : eau, électricité et ressources illimitées. C’est comme s’il vivait en Europe, pas sur une terre occupée", a déclaré Hureini à Mondoweiss depuis la colline de son village d’Al-Tuwani, qui surplombe la colonie israélienne de Ma’on.
"Dans la même zone, il y a deux systèmes et lois différents pour deux personnes différentes. Cela fait partie du système d’apartheid d’Israël qui nous est imposé au quotidien", a-t-il déclaré.
Les colons israéliens de Masafer Yatta attaquent fréquemment les Palestiniens, leurs maisons et leur bétail. Les habitants affirment que ces attaques sont quotidiennes et qu’elles ont souvent lieu sous la supervision de l’armée et de la police israéliennes.
Les colons israéliens sont rarement inculpés ou font l’objet d’une enquête pour les attaques commises contre des Palestiniens. Selon le groupe israélien de défense des droits Yesh Din, 92 % des enquêtes sur les attaques de colons contre des Palestiniens sont classées sans inculpation.
Où irons-nous ?
Majda Abu Sabha est l’un des habitants de Khirbet al-Fhakheet, un petit hameau situé au cœur de la zone de tir.
L’année dernière, l’armée israélienne a détruit sa maison à trois reprises, la dernière démolition ayant eu lieu il y a quelques semaines seulement. Aujourd’hui, elle vit dans une tente à côté des décombres de sa maison.
"Ils sont arrivés soudainement. Nous étions occupés par notre travail. Il y avait des bulldozers, des camions et des soldats. C’était indescriptible", a déclaré Abu Abha à Mondoweiss, racontant la démolition la plus récente de sa maison.
"Ils sont entrés en force. Ils ne nous ont pas permis de retirer nos biens ou nos meubles de nos maisons. Nous avions nos enfants et notre bétail. Ils ont dormi à la belle étoile", dit-elle. "Ils n’ont pas laissé derrière eux une seule tente, ni une seule maison. Ils ont même détruit nos tentes".
Un peu moins de 900 structures sont sous la menace imminente d’une démolition dans la zone de tir. Ces structures comprennent des maisons, des enclos pour le bétail, des latrines, des citernes d’eau, des mosquées et des écoles, dont une école située à quelques mètres seulement des décombres de la maison d’Abu Abha.
"Nous ne les dérangeons pas, c’est notre maison. Où sommes-nous censés aller ?" a demandé Abu Sabha.
"Nous n’avons pas d’autre alternative que cet endroit. Nous sommes constamment menacés. À tout moment, ils peuvent venir et prendre nos maisons. Où irons-nous ?"
Traduction : AFPS